Mon nouveau livre est un petit OVNI…
Ou du moins cela pourrait le sembler, peut-être, dans un monde où tout est rangé au cordeau, et où les hommes, artistes y compris, marchent en rang.
Navigator (de son petit nom – Navigator, précédé de tracés de feu (sous la peau), au complet) est un volume de po-é-sie.
Peut-être pas si surprenant que cela, me diraient sans doute les lecteurs les plus avertis, dans la mesure où le terme “poétique” (sous toutes ses variantes et déclinaisons) est sans doute celui qui a été le plus, au long cours, accolé à mon travail. Ce qui est surprenant pour un auteur labellisé “fantasy / Imaginaire”, ce n’est pas tant d’écrire de la poésie (ou d’autres ‘genres’, en général), mais bien (d’oser) en publier.
Si c’est là mon premier opus relevant de ce genre, ce ne sera sans doute pas le dernier, tant il est vrai que mes réserves regorgent d’opus poétiques, de recueils de lyrics (dont nombre furent mis en musique), de slams, de raps, de… rimes (ou pas 😉 )
Certains lecteurs les attendent avec fureur (et me l’ont fait très efficacement savoir — la preuve !), d’autres n’en auront cure. Il y a loin, sans doute, entre la fiction et la forme plus intérieure, viscérale et souvent intimiste que constitue ce nouveau territoire. Et bien des lecteurs voraces ne troquent jamais la prose pour les vers. Je me souviens d’avoir eu une conversation à bâtons rompus avec un ami totalement imperméable au genre, il y a quelques années. Il était si ‘fermé’ que j’ai fini par lui dire que si le professeur Keating (qui n’a jamais tort) affirmait que le principal objectif de la poésie était de séduire les femmes, j’irais plus loin pour ma part, étant convaincue que nul “non-lecteur” de poésie (à défaut d’être poète lui-même) ne saurait être vraiment capable… au lit. Interloqué (ulcéré ?… inquiet ? 😉 ) il alla se plonger dans Rimbaud le soir-même. Il en revint en déclarant, d’un air ‘espanté’ (comme on dit dans notre Sud) qu’il avait raté quelque chose durant des décennies. Finalement… il aimait bien ça, la poésie. Rien d’étonnant : peut-on vraiment apprécier Dumas, et le théâtre, sans cela ? Peut-on se mettre en phase avec l’âme des siècles, sans cela ?
Je ne crois pas (et reste très convaincue de cette histoire de… lit, vous savez ?)
Navigator se place sous l’égide de la mer. Ce n’est là qu’une figure métaphorique tutélaire, on s’en doute (je me verrais mal chanter les vagues — quel que puisse être mon amour pour elles — sur plus d’une centaine de pages). La mer, ici, c’est la littérature, abordée par le travers et de profil dans Tracés de Feu, et de façon infiniment plus directe dans Navigator, où je me livre à un autre ‘contestable’ exercice : rendre hommage aux livres et auteurs qui m’ont servi de repères et fanaux lors de mes traversées, et à la littérature en général.
Chaque véritable Lecteur (notez la capitale, elle est délibérée) a connu ce sentiment, je pense : ne pouvoir, à certains moments de sa vie (voire… tous ?) se sentir en état de fraternité ou d’écho qu’avec des pages / des personnages / des intrigues/ et leurs auteurs.
Il est des livres qui nous rapprochent de nous-mêmes, nous vérifient, nous confortent dans ce que nous sommes, envers et contre tous. Ils nous incitent à aller au plus près de notre véritable identité, et à ne pas céder au laminoir normatif du monde. Ils nous tiennent compagnie sans jamais faire défaut lors de nos épreuves, et lorsque nous faisons face au doute. Ils répondent, faisant figure de papier PH proprement magique, à ces “qui suis-je, où vais-je, dans quel état…. ” qui nous agitent souvent. Ils nous aident à nous définir ; à rompre la terrible sensation de l’isolement, et de l’inadéquation.
Ces livres sont essentiels. Vitaux.
Ils en viennent à faire partie de nous, plus encore que notre toujours si déroutant ADN, ou notre environnement direct. Nous nous sentons plus en relation avec eux qu’avec notre propre famille. Ils sont peut-être, au final, dans cette sphère immatérielle où nos substances terrestres montrent leur inconséquence, notre véritable famille. Celle qui nous justifie, nous valide, nous sauve.
C’est en tous cas ce que représentèrent les livres pour cette gamine née et grandie ‘étrangère’ que j’étais, et qui a fini à son tour par rejoindre la grande famille des êtres de plume.
Il est de mauvais ton, dans ce pays, de rendre grâce, de se reconnaître des dettes, d’aimer tout court, peut-être. Ma véritable patrie étant, toujours, l’océan, je n’ai pas ce petit problème à reconnaître, et saluer, les navigateurs que j’ai croisé lors de mes voyages, et qui m’ont si souvent détournée des gouffres et des impasses. Il est beaucoup moins question de dire à ces “amis inconnus” que sans eux je ne serais pas devenue écrivain que de reconnaître avec tranquillité et sans irritation égotiste que ce sont eux, bien souvent, qui m’ont simplement tenue en vie. C’est aux livres de ces autres, et non aux miens que je dois, tout simplement, d’être en vie.
C’est pour moi une joie indicible, et un privilège, de leur rendre cet hommage, et de chanter ces lumières qui ont ponctuée ma traversée. J’ai toujours préféré, infiniment, chanter l’amour que la colère. Je remercie humblement tous ces auteurs (dont je n’ai pu hélas saluer dans Navigator qu’une infime partie) de m’en avoir offert à la fois l’occasion et l’élan.
C’est un grand bonheur que de publier cet opus accompagné des photographies somptueuses d’un vieil ami et compagnon de route, Mad Youri, et (étrange occurrence qu’aucune des Pythies qui hantent mes histoires ne n’avait annoncée !) de celles de ma propre fille, Sadana Silhol, qui signe également la couverture.
Ce blog n’étant pas rédigé sous forme poétique, je ne peux exprimer l’étrangeté et le plaisir de cette configuration.
Nous avons choisi pour ce volume, qui comporte une vingtaine de photographies en couleurs, le plus souvent sur doubles-pages, une impression ad hoc : “premium” sur papier photographique mat. La ‘main’ de ce papier, sa texture, m’a tiré un carnassier sourire. On glissssse dessus comme sur de l’eau ! J’aurais simplement aimé que les coûts d’impression ne soient pas aussi élevés, dictant un prix de vente à l’avenant. Mais… on ne peut pas tout avoir, je suppose.
Nous pourrons vraiment, mon équipage et moi, affirmer que nous l’avons fait *pour le plaisir* (le nôtre, et le vôtre également, j’espère), car il ne nous ‘rapportera’ quasiment rien. Mais le mépris de l’argent, et la préséance sur toute chose de l’Art, c’est aussi ce que ceux auquel je rends hommage m’ont appris, et c’est une leçon pour laquelle je les remercie (en mots… et actes !).
De tous les livres que j’aurais faits “pour moi”, Navigator est sans doute celui que j’aurais fait le plus… “pour moi”. Les lecteurs qui me suivront (ou me rencontreront pour la première fois) à travers ces pages se confronteront à un autre niveau de partage.
La poésie, c’est aussi cela : le territoire où les auteurs, dépouillés des obligations qu’impose l’intrigue, et tout à la fois de ses commodes artifices, ne peuvent plus porter les masques de la Comedia, et se cacher derrière leurs personnages. Le seul espace, par conséquent, où ils ne puissent éviter d’être totalement vrais.
Je souhaite à tous ceux qui nous rejoindront à bord une exaltante traversée.
Salve
LS/.
Navigator, précédé de Tracés de Feu, sous la peau, Léa Silhol + Sadana Silhol + Mad Youri, paru le 28/08/2017 chez Nitchevo Factory.
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